Dossier spécial : les tiques de la Mauricie
Véronique Cloutier en collaboration avec Dr Marcoux-Huard, cheffe de département de santé publique et médecin spécialiste en santé publique et médecine préventive.
Lorsqu’il fut le temps de choisir les sujets d’articles les plus pertinents pour cette édition, Hélène mentionna qu’il serait pertinent de vous présenter un article sur les tiques du Québec puisqu’elle voyait les gens autour d’elle qui évaluaient très mal les risques liés à celles-ci. Je ne pouvais pas être plus d’accord, car je constatais aussi le même phénomène. Nous avons donc convenu de ce thème.
Là où la situation est devenue beaucoup plus intéressante est lorsque nous avons discuté de l’angle à donner à l’article. À notre grand étonnement, nous avons constaté qu’Hélène trouvait alarmant le peu de prévention faite par les randonneurs et ce, bien que les conséquences de la maladie de Lyme (Borrelia burgdorferi), si elle n’est pas traitée à temps, puissent être très graves. De mon côté, je trouvais alarmant que les gens paniquent facilement s’ils découvrent une tique attachée à leur peau et ce, malgré les statistiques très basses de transmission de la maladie de Lyme ! Nous étions toutes les deux d’accord que le risque était mal évalué. De son côté elle constatait qu’il était sous-évalué et du mien, qu’il était surévalué. Laquelle de nous deux avait raison ?
Ce qui est encore plus surprenant est que nous avions raison toutes les deux ! En fait, nous ciblions des moments différents d’évaluation du risque par le cerveau humain. La phase de prévention et la phase de réaction.
Le cerveau humain évalue très mal les risques de ces deux phases. En fait, il mélange aisément intuitions et statistiques ! C’est pourquoi les gens achètent, par exemple, des billets de loterie. Un biais qui a été démontré à plusieurs reprises est que la fréquence de la présentation des gagnants dans les médias influence notre évaluation des risques que cela arrive. Si on voit des gagnants dans les médias régulièrement, notre cerveau enregistre qu’il s’agit d’un événement fréquent. Si on nous montrait tous les perdants dans la même proportion qu’il y en a pour le nombre de gagnants, le biais disparaitrait et nous serions en mesure de juger correctement… en fait, nous ne nous rappellerions peut-être même pas le seul gagnant présenté pour les milliers de perdants que nous verrions tous les jours !
Figure 1. Stuart Meek CC BY-SA 2.0
Phase de prévention
C’est pareil pour les tiques : combien de fois êtes-vous allés en forêt sans revenir avec une tique ? Avec cette « donnée », notre cerveau nous dit que ça ne vaut pas la peine de se protéger. En revanche, de petits gestes qui ne nous enlèvent rien et qui ne sont pas énergivores, pourraient nous éviter bien des tracas et de potentielles conséquences graves.
Par exemple :
- Portons des vêtements longs… choisissons des tissus qui respirent et rappelons-nous que même s’il fait chaud, personne n’est habillé en court dans le désert !
- Limitons les portes d’entrée pour les tiques : par exemple, passons nos bas par-dessus nos pantalons… les nouvelles modes ont toutes commencées quelque part 😉
- Portons des vêtements clairs pour mieux voir les tiques.
- Utilisons une protection anti-insectes avec du DEET ou de l’icaridine. L’huile essentielle de citronnelle ou de géranium peut avoir un certain effet sur les moustiques, mais ce n’est pas le cas sur les tiques.
- Restons dans les sentiers aménagés par les humains et évitons les sentiers des animaux sauvages.
- Vérifions-nous dans toutes nos zones cachées à notre retour de randonnée. Puisque le temps de contact entre la tique et l’humain est important (je vous l’expliquerai ci-dessous), il est primordial de repérer rapidement une tique et de la retirer lorsqu’elle vous a choisi comme cible.
Maladie de Lyme
L’arthrite de Lyme est la principale manifestation observée en Amérique du Nord, mais d’autres symptômes peuvent être présents.
Tiré du site du gouvernement du Manitoba : « Les symptômes communs comprennent une éruption cutanée rougeâtre qui s’étend (Erythrema migrans), des maux de tête, de la fièvre, de la fatigue et des frissons. Si elle n’est pas soignée, la maladie de Lyme peut causer des complications aux articulations, au cœur et au système nerveux.
La maladie de Lyme peut être traitée avec succès avec des antibiotiques, surtout si elle est diagnostiquée tôt ». Selon le site du gouvernement du Québec : « Les complications de la maladie de Lyme surviennent généralement lorsque l’infection n’a pas été détectée ni traitée efficacement ».
Phase de réaction
Concernant la phase de réaction. Là, les émotions embarquent ! J’ai personnellement eu une tique sur l’épaule et j’ai vu les commentaires de mes proches qui me conseillaient de prendre « préventivement » des antibiotiques ! Certains d’entre eux me donnaient comme exemple une personne connue qui avait été diagnostiquée avec la maladie de Lyme (ces gens étaient influencés par le même biais présenté précédemment). Est-il étonnant que nous soyons les mêmes personnes à ne pas faire suffisamment de prévention, mais à tout de même paniquer lorsque la bête à ses mandibules bien ancrées dans notre peau ?
Lorsque cela nous arrive, il faut se calmer, laisser nos émotions et nos biais de côté et tout simplement regarder les mathématiques derrière notre contact avec la tique pour prendre une décision rationnelle. Bref après avoir retiré la tique de manière sécuritaire, il y a trois questions à se poser.
Comment retirer la tique ?
Surtout, en ne compressant pas son abdomen, en ne touchant que sa tête (la partie la plus près de notre peau) soit avec une pince à tique ou avec une pince à sourcils et en tirant d’un fort coup sec vers le haut (ne pas tourner). Si la tête de la tique reste dans notre peau, on peut la laisser là, notre corps va s’en charger tout seul, il ne sert à rien de s’acharner en se charcutant la peau.
Question #1 : où étions-nous lorsque nous sommes entrés en contact avec la tique ? L’endroit est important puisque les risques sont distincts d’un endroit à l’autre. Les tiques des différentes régions n’ont pas toutes la maladie de Lyme dans les mêmes proportions et donc, les risques de nous transmettre la maladie sont différents. Prenons la fois où j’ai personnellement eu une tique sur l’épaule. J’étais à Frelighsburg, une municipalité de l’Estrie. On se rend donc sur la cartographie du risque d’acquisition de la maladie de Lyme et de la prophylaxie post-exposition au Québec (lors de l’écriture de ces lignes, elle avait été mise à jour en juin 2023) à cette adresse https://www.inspq.qc.ca/zoonoses/maladie-de-lyme. Nous pouvons constater que le risque dans cette municipalité est significatif (zone endémique). En Estrie, il y a eu 1541 cas de maladie de Lyme depuis 2014. Au passage on peut jeter un œil à la Mauricie et constater le risque beaucoup moins élevé passant de possible à présent avec ses 65 cas de maladie de Lyme depuis 2014.
Qu’est-ce que ça veut dire que ma tique provenait d’une zone à risque significatif ? Cela signifiait que j’étais dans la « pire » situation possible pour le Québec. Quelle est cette « pire » situation ? Était-ce un risque d’attraper la maladie de 95% ? Pas du tout ! Je cite le gouvernement du Québec sur son site dédié à la maladie de Lyme : « Selon les études consultées, l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) estime que le risque global de contracter la maladie de Lyme après une piqûre de tique à pattes noires est estimé à 1-3 % dans les zones à haut risque (où 12 à 50 % des tiques [à pattes noires] sont infectées) ». J’avais donc un risque de 1-3% d’avoir contracté la maladie de Lyme et ce risque est le pire rencontré au Québec jusqu’à maintenant.
Question #2 : quelle est l’espèce de tique à laquelle on a affaire ? On conseille de sauter cette question puisqu’obtenir la réponse peut prendre plus de 72 heures après son retrait et, si on a un risque d’avoir la maladie de Lyme, on doit la traiter avant ce délai. Sachez quand même que la question peut être intéressante quitte à lui répondre après avoir pris un traitement antibiotique. La seule espèce de tique qui transmet la maladie de Lyme est la tique à pattes noires (Ixodes scapularis). Le risque de contracter cette maladie d’une autre espèce de tique est nul. Il peut donc être intéressant de connaître l’espèce. Pour répondre à cette question, il suffit d’envoyer des photos de la tique au site https://www.etick.ca/. Dans mon cas il s’agissait de la tique à pattes noires, celle qui est à risque de transmettre la maladie de Lyme. Je conservais donc mon « haut » pourcentage de risque d’avoir contracté la maladie.
Question #3 : quel est le temps de contact entre la tique et nous ? La maladie de Lyme ne peut pas se transmettre en une seconde ! Selon le gouvernement du Québec : « Dans les premières 24 heures, le risque de transmission de la bactérie n’a jamais été mis en évidence dans les études expérimentales les plus transposables à l’humain, mais il ne peut être exclu dans des circonstances particulières ». Bref, à moins de circonstances particulières (par exemple si je prenais des immunosuppresseurs à la suite d’une greffe d’organe), un temps de contact de moins de 24 heures avec la tique amène des risques probables de transmission de 0%. Dans mon cas, je ne connaissais pas l’heure à laquelle la tique m’avait touchée, mais je savais qu’entre le temps où j’ai descendu de ma voiture pour aller chercher des champignons et celle où j’avais trouvé la tique sur moi, il s’était passé 7 heures. Il est probable que le temps de contact ait été moindre, car il aurait fallu que la tique puisse me grimper dessus dès ma sortie de la voiture qui n’était pas dans les herbes hautes. Voilà ! Malgré ma présence dans une des zones les plus à risque de la province et l’espèce de tique qui était celle qui transmet la maladie, mon risque probable d’avoir contracté la maladie de Lyme était de 0%. Pour être plus exacte, il était de 0% sans contact avec une tique et il était à peine plus élevé que 0%, disons de 0,0000001% après un temps de contact de 7 heures. Je n’avais donc rien à faire. J’ai contre-vérifié ma compréhension avec mon pharmacien qui l’a confirmée. J’aurais aussi pu commencer par aller voir mon pharmacien, il aurait fait ces étapes avec moi et dans certaines zones à risque, il aurait pu me vendre l’antibiotique sans passer par un médecin (si j’avais été piquée pendant plus de 24 heures). Par acquis de conscience, il me restait à vérifier si j’avais des symptômes dans les prochains mois ainsi que de conserver la tique dans un contenant hermétique pour la même période a des fins de tests potentiels au besoin qui, évidemment, n’ont pas eu lieu.
Des informations beaucoup plus difficiles à trouver !
Nous avons discuté avec Dr Marcoux-Huard, cheffe de département de santé publique et médecin spécialiste en santé publique et médecine préventive. Nous lui avons posé les questions pour mieux comprendre.
Les questions sont identifiées par la lettre Q et les réponses par R.
Q : Est-ce qu’il y a plus de tiques qu’avant en Mauricie et, si oui, pourquoi ?
R : Il n’y a pas de données sur le nombre de tiques mais, en toute logique, on s’attend à ce qu’il y en ait de plus en plus puisque le réchauffement climatique agrandi leur aire de répartition. Aussi, la plus longue période chaude dans l’année augmentera leur période d’activité des tiques ainsi que le temps que les gens passeront dehors et donc, une augmentation des contacts entre les tiques et les gens.
Q : Est-ce qu’il y a d’autres espèces de tiques qui transmettent des maladies en Mauricie ?
R : Nous avons 12 espèces de tiques au Québec (versus plus de 900 dans le monde). La seule qui transmet la maladie de Lyme au Québec est la tique à pattes noires. Cependant toutes les tiques ont le potentiel de transmettre des bactéries, des virus et des parasites.
Q : Quelles sont les autres maladies transmises par les tiques dont on devrait se méfier ?
R : Parmi les maladies transmises par les tiques, de 2016 à aujourd’hui :
Il n’y a pas eu de cas d’anaplasmose granulocytaire humaine (Anaplasma phagocytophilum) en Mauricie / Centre du Québec mais il y a eu une vingtaine de cas au Québec surtout en Estrie et en Montérégie.
Anaplasmose
Tiré du site du gouvernement du Manitoba : « Les personnes infectées par la bactérie ont pour la plupart de la fièvre et des symptômes non spécifiques bénins comme des frissons, des maux de tête et des douleurs musculaires.
Dans la plupart des cas, l’anaplasmose est une infection bénigne, mais les personnes âgées ou dont le système immunitaire est affaibli peuvent être atteintes plus gravement et nécessiter une hospitalisation.
L’anaplasmose se traite facilement par antibiotiques ».
Il n’y a pas eu de cas de babésiose (Babesia microti) en Mauricie / Centre du Québec mais il y a eu un cas en 2022 en Montérégie, un cas en 2019 dans la capitale nationale et deux cas en 2017 en Estrie et à Montréal.
Babésiose
Tiré du site du gouvernement du Manitoba : « Bien des personnes infectées ne présentent aucun symptôme. Ses principaux symptômes non spécifiques bénins font penser à une grippe. Le risque de maladie grave est plus élevé chez les personnes âgées et souffrant de pathologies sous‑jacentes. Une fois diagnostiquée, la babésiose peut être traitée avec succès ».
Il n’y a eu aucun cas d’encéphalite de Powassan (virus de Powassan) au Québec en 2022. Ces trois maladies sont à déclaration obligatoire donc nous le saurons si les cas augmentent.
Concernant les borrélioses autres que la maladie de Lyme comme la fièvre récurrente (Borrelia miyamotoi) et la réaction allergique à l’alpha-gal qui induit une allergie à la viande rouge : ce ne sont pas des maladies à déclaration obligatoire. Ces maladies ne sont pas des sujets de discussion actuellement au sein de la santé publique, on peut donc en déduire qu’elles ne sont pas considérées comme préoccupantes (voir potentiellement absentes de notre région). Il n’est pas exclu que ces maladies deviennent suivies si la situation change.
Q : Est-ce qu’il y a des mythes que vous aimeriez démystifier ?
R : Certaines personnes pensent que le temps de contact de 24 heures avant de risquer de contracter la maladie de Lyme est exagéré, mais le vrai chiffre est de 36 heures. On dit 24 heures, entre autres, pour se garder une marge de sécurité. Vous pouvez donc vous sentir rassurés.
Certaines personnes aimeraient passer un test sanguin pour savoir s’ils ont la maladie de Lyme, mais les tests sérologiques ne sont pas fiables pour détecter la maladie de Lyme. C’est pourquoi l’outil de décision des médecins et des pharmaciens n’utilise pas ce genre de test. Effectivement, ces tests peuvent être de faux positifs lorsqu’on a une maladie auto-immune, par exemple la maladie de Crohn. Ce serait dommage de penser qu’on est toujours fatigués à cause de la maladie de Lyme quand, en vérité, on a la maladie de Crohn et qu’on pourrait recevoir de l’aide efficace pour la bonne maladie. On ne sait pas non plus si le test est positif si quelqu’un qui a déjà eu la maladie de Lyme et ne l’a plus aujourd’hui.
Certaines personnes ont très peur lorsqu’elles découvrent que leur chien a une tique. Ils soupçonnent que le repas de la tique a peut-être commencé sur eux et que la tique a changé d’endroit lorsqu’ils ont flatté leur chien. C’est extrêmement peu probable. Les tiques ne font qu’un seul repas de sang. Elles ne changent pas de place par elles-mêmes lors de leur repas.
Certaines personnes pensent que les tiques d’Europe et de l’Amérique du Nord transmettent la même maladie de Lyme avec les mêmes symptômes. En réalité les symptômes diffèrent. En Amérique du Nord on a affaire à plus de cas d’arthrite tandis qu’en Europe il y a plus d’atteintes neurologiques.
Le nom de la maladie de Lyme vient de la ville de Lyme au Connecticut qui est le premier endroit où on a identifié la maladie en Amérique du Nord. On s’est rendu compte qu’il y avait matière à investigation lorsqu’il s’est mis à survenir quelques cas d’enfants avec de l’arthrite.
Q : Avez-vous un message important à transmettre à nos membres ?
R : « Continuez à faire des activités à l’extérieur ! »
C’est important et c’est bon pour la santé. C’est sûr que c’est mieux de suivre toutes les méthodes préventives, mais si vous risquez d’arrêter d’aller dehors parce que vous ne voulez pas vous habiller différemment : prenez une bonne douche à votre retour et vérifiez-vous partout.
On peut fournir des efforts pour éviter que les tiques nous touchent, mais on peut aussi prévenir un temps de contact trop long, c’est correct aussi. Dans tous les cas, c’est très important : continuez à faire des activités, à bouger et à profiter de l’air sain à l’extérieur.